Problématique 1

L'HOMME PEUT-IL RELEVER LE DEFI D'UNE EXISTENCE LIBRE?


Objectif général: Appréhender les difficultés liées à la conquête de la liberté.
Liberté, liberté, liberté ! Telle semble être la fin poursuivie par l’homme dans toutes ses entreprises. Cependant, aussi légitime que soit cette aspiration, elle ne manque pas de se heurter à des difficultés de tous ordres : politique, psychologiques, sociologiques, etc. or, comme semble le suggérer son étymologie libertas, la liberté se veut absence de contraintes dans l’agir ou le penser, alors elle risque d’être une simple vue de l’esprit. Dans ces conditions, vouloir la liberté n’est-il pas un leurre ? En réalité, l’homme peut-il boire la coupe de la liberté au regard de toutes ces pesanteurs psychologiques, socio-politiques ou même religieuses ?
 

PROBLEME 1 : La connaissance de l’homme est-elle possible ?
Objectif : montrer la complexité de la nature de l’homme         /          Notions : conscience et inconscient, violence, mémoire, liberté


INTRODUCTION

Alors que SOCRATE invite résolument à faire du « connais-toi toi-même » inscrit au fronton du temple de Delphes, un principe fondamental de notre vie, le philosophe allemand NIETZSCHE (1844-1900) estime qu’il s’agit d’une expérience impossible dont l’évocation n’est que plaisanterie. Très vite, la question de la connaissance de soi et, par suite de l’autre, glisse vers le débat sur la nature de l’homme. L’homme, en réalité, est-il un être dominé par la conscience ou au contraire un jouet de l’inconscient ? Sa nature est-elle vraiment insaisissable ?

      I.        LA CONSCIENCE, LUMIERE DE L’HOMME

Pour une certaine tradition philosophique, l’homme se définit comme un animal, mais un animal doué de conscience. Cette faculté constituerait même la preuve de sa transparence et de sa maîtrise sur lui-même.

A.    NATURE DE LA CONSCIENCE

1.     Définition de la conscience
Avant DESCARTES, la conscience désigne cette capacité morale qui permet de distinguer le bien du mal et de juger mes actes et ceux des autres. Plus tard, à la suite de l’expérience cartésienne, André LALANDE la décrit comme l’«intuition plus ou moins claire, plus ou moins complète qu’a l’esprit de ses états et de ses actes» (Vocabulaire Technique et critique de la philosophie.) En clair, elle est une faculté psychique c’est-à-dire ce qui me fait savoir ce qui se passe en moi ou hors de moi. Au total, La conscience désigne donc, à la fois, une capacité psychique (témoin de ma pensée, mon état, mes actes et de l’expérience autour de moi) et morale (juge de moi-même et des autres).
On parle de conscience immédiate, spontanée ou directe quand la conscience saisit spontanément les choses. Elle est dite réfléchie lorsqu’elle revient sur ce qu’on pense, vit, sent ou fait afin de l’analyser.
2.     La conscience n’est pas une substance
La conscience est une faculté (capacité). Cela veut dire qu’elle n’est pas une substance[1], une partie du corps. Elle ne relève pas de la dimension biologique. Elle appartient plutôt au mental. « C’est par l’objet (…) que l’homme devient conscient de lui-même» écrivait Ludwig FEUERBACH (1804-1872) dans l’Essence du christianisme. Cette pensée traduit fidèlement la notion d’intentionnalité par laquelle Edmund HUSSERL (1859-1938) définit la conscience. Pour le phénoménologue allemand, «Toute conscience, note-t-il dans les Méditations cartésiennes, est conscience de quelque chose.» Autrement dit, on ne se rend compte de la conscience que dans la rencontre de celle-ci avec le monde extérieur, le dehors. Elle n’existe pas en dehors de ses actes.

B.    LA CONSCIENCE : ESSENCE ET DIGNITE DE L’HOMME

1.     L’essence de l’homme

      A la recherche d’une connaissance ferme et sûre, DESCARTES (1596-1650)  entreprend de douter de tout ce qu’il voit et de tout ce qu’il pense : connaissance, opinion, monde, corps, etc.  Mais de ce doute hyperbolique (exagéré) surgit une évidence fondamentale : « pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi qui le pensais fusse quelque chose.» D’où le fameux « cogito ergo sum » (« je pense donc je suis) qui conclut cet exercice et qui montre que la conscience est la seule chose dont on ne peut pas douter et qui nous rassure quant à la réalité de notre existence ; elle est la plus essentielle, la plus vraie réalité qui définit l’homme.

2.     Les manifestations de la conscience

La présence de la conscience en l’homme lui confère des qualités que les autres êtres ne peuvent manifester.

a.     Sélection et choix
Henri BERGSON (1859-1941) indique que «toute conscience signifie choix». Il montre par là même que la conscience est liée au présent, au réel, à l’action. Pour chaque tâche que je dois accomplir, j’évoque, parmi tous les souvenirs, ceux qui me sont utiles dans le moment présent. Dans ce sens, la conscience est liée à la mémoire[2] qu’on pourrait définir comme une faculté par laquelle le passé est convoqué au présent. Cependant, la mémoire est à distinguer de l’imagination, elle aussi fille de la conscience. Si la mémoire vise à reproduire les choses, les faits passés, l’imagination est plutôt créatrice car elle permet de vivre mentalement une situation non vécue réellement.
b.     Adaptation et réflexion
       La conscience est une faculté d’adaptation. Lorsque se présente une situation inhabituelle ou difficile, la conscience se met en branle pour la résoudre. L’homme devient, par là, un être intelligent c’est-à-dire capable de s’adapter à n’importe quelle situation par le canal de la réflexion que Louis-Marie MORFAUX dans le Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines définit comme « retour de la pensée sur elle-même, sur ses états et ses actes.»
c.     Conscience et liberté
     En tant que faculté psychologique, la conscience constitue le pont qui me relie au monde, aux autres êtres. Si les autres animaux ont également la capacité de saisir leur environnement immédiat, les hommes se distinguent par l’aptitude à aller au-delà du hic et nunc, de l’«ici et maintenant » selon le mot de Martin HEIDEGGER (1889-1976). Je suis en rapport avec le monde et moi-même grâce à la conscience qui se présente ainsi comme conscience de soi (sentiment de sa personnalité) et conscience du monde. Dans un même mouvement, je sais que j’existe et que d’autres êtres existent avec moi. Mieux, dans mon agir quotidien, je ne suis pas esclave de mon instinct (impulsion innée commune à l'espèce). Face à une situation, ma réaction dépendra de mon analyse personnelle. Alors que les autres animaux de même espèce agissent toujours de la même façon, les hommes ont, chacun, un comportement propre, spécial, unique. Blaise PASCAL (1623-1662) en conclut la grandeur et la dignité de l’homme. D’où cette célèbre formule dans les Pensées : « l’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. » (Gallimard, Pléiade, 1976, p. 1157.)

C.    LA CONSCIENCE, INSTRUMENT DE CONNAISSANCE DE L’HOMME

    Chez certains philosophes, la conscience apparaît comme une lumière à la fois intérieure et extérieure.

1.     L’introspection ou auto-connaissance

    L’expérience cartésienne du cogito conduit à la fois à la découverte de la conscience et, à partir d’elle, à la connaissance de soi. Cette méthode introspective qui consiste généralement en une « investigation de ses pensées intérieures et de ses sentiments » permet de saisir ses sentiments, ses préférences, ses forces, ses faiblesses, etc. (Cf. Louis-Marie MORFAUX.)  Ainsi, je peux, par la force de la conscience, dresser mon portrait moral, ou connaître, même spontanément, mon sentiment à l’égard de quelqu’un, de quelque chose ou d’une situation. Vu son importance, l’introspection est utilisée, en psychologie clinique, comme une méthode d'analyse de soi et de ses réactions psychiques à des stimuli extérieurs aux fins de cerner la personnalité.

2.     La connaissance des autres

     Grâce à la conscience psychologique, je vois vivre et agir les autres. Par ma conscience morale, je peux les apprécier et dresser ainsi les aspects de leur personnalité. Et lorsque j’entretiens des rapports particuliers d’intimité et de sympathie avec l’autre, je bénéficie de ses confidences qui, ajoutées à ce que je vois de lui, renforcent sa connaissance. C’est dans ce sens qu’ARISTOTE présente l’amitié comme le moyen le plus efficace de connaissance de soi. Ainsi, la conscience semble être une lumière qui m’éclaire sur moi-même et sur les autres. Mais que vaut réellement cette connaissance ?

   II.      L’INCONSCIENT OU  LE MYSTERE DE L’HOMME

A.    LA CONSCIENCE EST LACUNAIRE

1.     Les limites de l’introspection

     Emmanuel KANT (1724-1804) nous invite, dans la Critique de la raison pure, à distinguer conscience de soi et connaissance de soi. « J’ai conscience de moi-même »  ne signifie pas que  je me connais « tel que je suis en moi-même, mais seulement conscience que je suis. (…) La conscience de soi-même n’est pas encore, il s’en faut, une connaissance de soi-même. » Autrement dit, la conscience de soi permet de savoir que je suis et non qui je suis. On comprend dès lors pourquoi plusieurs fois, il nous arrive d’être surpris par notre propre comportement, malgré le témoignage de la conscience qui nous présentait autrement. Du fait de son caractère subjectif (je suis à la fois le juge et celui qui est jugé) et de l’amour narcissique naturel à l’homme, l’introspection est souvent tronquée. C’est en situation, face à la réalité concrète, que l’être humain se découvre tel qu’il est. C’est d’ailleurs cette pensée qui fonde l’existentialisme sartrien dont la maxime est bien connue : « l’existence précède l’essence ».

2.     Le problème du témoignage

     Blaise PASCAL (1623-1662) avertit que l’homme est dissimulation à lui-même et simulation aux autres. Par ces mots, l’auteur des Pensées attire notre attention tant sur l’obscurité que sur la duplicité de l’homme. Comme l’indique la critique de l’introspection, l’homme est parfois caché à lui-même. Dès lors, toute confidence est d’avance faussée. En effet, quand l’homme n’est pas trompé par la conscience, c’est la mauvaise foi qui l’inspire et le pousse à dissimuler les secrets de son cœur. L’hypocrisie n’est-elle pas la chose la mieux partagée en société ?  Selon Jean Jacques ROUSSEAU (1712-1778),  « sous le voile perfide et uniforme de la politesse », les hommes jouent des rôles, portent des masques selon leurs intérêts ; nous sommes des personnages. Finalement, l’homme apparaît comme un mystère pour les autres et, pire, pour lui-même.

B.    LA DECOUVERTE DE L’INCONSCIENT

1.     Qu’est-ce que l’inconscient ?

      Il a fallu attendre la fin du XIXè siècle avec le médecin et neurologue  autrichien Sigmund FREUD (1856-1939) pour avoir une réponse sérieuse à cette question. Déjà avec Gottfried Wilhelm Von LEIBNIZ (1646-1716), l’adjectif ‘‘inconscient’’ servait à qualifier les réalités qui échappaient individuellement à notre conscience (ex. : bruit de chaque goutte d’eau de la mer) mais dont la somme donnait une perception consciente (ex. : bruit de la vague).  Mais chez FREUD, il deviendra un substantif pour désigner une réalité. Comme la conscience n’arrive pas à témoigner efficacement de la personnalité, FREUD en déduit qu’elle n’est ni l’auteur, ni à l’origine de nos actes. A côté de la conscience, il devrait exister une zone qui échappe à sa connaissance et à son contrôle. C’est ce qu’il appelle l’inconscient. Ce terme désigne donc la partie de notre personnalité qui échappe à la maîtrise et à la connaissance de la conscience. FREUD (1856-1939) va systématiser la théorie de l’inconscient à travers la psychanalyse.

2.     La psychanalyse

a.     Qu’est-ce que la psychanalyse ?
     On peut définir la psychanalyse comme l’ensemble de l’œuvre de FREUD sur l’inconscient. Elle est apparue d’abord comme méthode thérapeutique des maladies mentales, puis comme théorie descriptive du psychisme avant de devenir une «science» de tout ce qui touche à la nature et l’existence de l’homme. La psychanalyse est donc un effort de compréhension et de traitement de la vie mentale de l’homme. Sa conception du psychisme est véritablement révolutionnaire.
b.     La structure du psychisme selon FREUD
    Depuis l’Antiquité, l’on semblait avoir définitivement tranché le problème de la nature du psychisme présenté comme étant exclusivement composé de la conscience. Mais la psychanalyse va sonner le glas à cette vision à travers la première puis la seconde topique de FREUD.
                                                                                                                   i.        La première topique.
Topique vient d'un mot grec, topos qui signifie lieu. FREUD l’utilise pour donner une représentation spatiale du psychisme aux seules fins de se faire comprendre. On ne doit nullement l'envisager selon un mode réaliste qui donnerait aux zones délimitées un support organique en les faisant correspondre, par exemple, à des localisations cérébrales précises. Selon la première topique, tout se passe comme s'il y avait deux camps opposés :
   - Le système conscient / préconscient (Moi) : il est constitué de tout ce qui est actuellement dans ma conscience (conscient) et de tout ce qui peut être ramené à ma conscience pour peu que j'y prête attention (préconscient).
   - L'inconscient : il est composé des contenus qu'il est impossible de faire revenir à la conscience.
     Il existe ainsi deux camps opposés. Le conscient est structuré un peu comme un camp retranché et ressent comme une menace l'intrusion de contenus ou de processus appartenant à l'inconscient. Ceux-ci lui apparaissent comme un danger dans la mesure où ils sont incompatibles avec ceux dont il est lui-même formé et mettent donc en cause son existence. Ce n'est pas une image exagérée car cette menace se traduit par une angoisse bien réelle et le processus du refoulement est mis en œuvre pour y échapper. Entre le Moi et l'inconscient, se situe la censure qui a deux aspects :
  - Quand la conscience veut aller vers l'inconscient, par exemple lorsque nous cherchons à interpréter un rêve, elle est refoulée vers la conscience. C'est la résistance.
  - Inversement, lorsque l'inconscient veut aller vers la conscience, il peut être renvoyé du côté de l'inconscient. C'est le refoulement.
      Mais vers 1920, FREUD abandonne cette topique pour une deuxième.
                                                                                                                  ii.        La deuxième topique
     Dans sa deuxième topique, FREUD va exposer trois instances qui composent le psychisme : le ça, le moi, le surmoi.
     Le ça est en même temps le lieu de naissance des pulsions ou tendances (forces inconscientes d’origine biologique douées de charge énergétique et orientant l’individu vers un objet qui lui donnera satisfaction) et de conservation des désirs refoulés. Ces pulsions inconscientes constituent le fond du psychisme et tout le réservoir de son énergie ; il exprime la poussée des besoins corporels cherchant à se satisfaire selon le principe du plaisir. Les origines des pulsions du ça sont d’ordre héréditaire, instinctif (liées au corps) ou historique. 
     Instance également inconsciente, le surmoi est le lieu d’intériorisation des valeurs sociales et morales. Cette sorte de morale inconsciente refrène ou refoule l’expression des pulsions notamment sexuelles, quand celles-ci s’opposent aux exigences du monde extérieur et de l’entourage social. On parle de gendarme du psychisme. Le surmoi est l’instance de la censure, du refoulement des pulsions inconscientes lorsqu’elles menacent la construction du sujet. Rappelons que le refoulement est le processus par lequel une idée ou une tendance pénible ou dangereuse se trouve rejetée du moi et maintenue dans l’inconscient.
     Le moi est la partie consciente du psychisme. Le moi freudien doit gérer, à la fois, les exigences de satisfaction des tendances amorales du ça, les pressions morales du surmoi et les exigences de la réalité. Le moi obéit au principe de réalité. Le moi dépend à la fois des revendications du ça et des exigences du surmoi entre lesquelles il tente de trouver un équilibre. Il est le médiateur des intérêts conflictuels du ça et du surmoi : « le moi ainsi pressé par le ça, opprimé par le surmoi, repoussé par la réalité, lutte pour (…) rétablir l’harmonie entre les diverses forces et influences qui agissent en lui et sur lui. » (Nouvelles conférences sur la psychanalyse.)
     Chez FREUD, la conscience émane de l’inconscient.  Sous l’impulsion d’informations sensorielles, une pulsion[3] naît au niveau du ça, selon le principe de plaisir ou libido. Cette énergie n’a d’autre ambition que de se faire satisfaire par le moi. Mais le surmoi constitue une autre force qui peut s’opposer à cette satisfaction. Dans ce cas, la pulsion est refoulée et retourne au ça, créant un déséquilibre et cherchant à s’associer à d’autres pulsions refoulées pour revenir. Dans le cas contraire, la pulsion devient désir dès que le moi en prend conscience et peut soit être satisfaite, soit être réprimée à cause de la réalité extérieure.

3.     Les manifestations de l’inconscient

      Devant les nombreuses réticences, FREUD va recourir à des éléments de la vie courante pour corroborer ses propos.
a.     Les actes manqués
    Les actes manqués sont des actes qui restent caractéristiques de l'homme normal mais où l'intention de la conscience est manquée au profit d'une autre. Il en existe trois grands types : les pertes d'objet, les oublis de mots ou de projets et les lapsus. Freud montre que les actes manqués sont de véritables actes. Il n'y a pas de hasard psychique et tout acte manqué manifeste une intention inconsciente. Freud récuse toutes les causes organiques des actes manqués (par exemple la fatigue) et montre qu'ils sont toujours porteurs d'un sens : « ils sont en accord avec les désirs, les vœux, les sentiments réprimés et inavouables à cause de leur incompatibilité avec la morale.»
b.     Les névroses et psychoses
    La névrose est une affection nerveuse et mentale sans base anatomique visible et caractérisée par des troubles divers (malaise, insomnie, hypersomnie, frigidité, peur phobique, impulsions suicidaires, etc.).  A la différence de la psychose, il n’y a pas d’altération de la personnalité. Chez FREUD, ces dysfonctionnements sont dus à l’insatisfaction de la libido.
c.     Le rêve
     Avant FREUD, le rêve avait différentes explications. Pour le profane, il était un jeu insensé et désordonné d’images et de sons. Chez les religieux, il pouvait soit dévoiler des réalités spirituelles présentes soit annoncer des évènements à venir ou des messages divins. Avec les scientistes, le rêve est l’expression imagée d’excitation corporelle. Mais pour FREUD, le rêve est la satisfaction symbolique des désirs refoulés. Ces désirs refoulés se déguisent pour pouvoir tromper la vigilance de la censure afin d’être satisfaits par le moi. C’est ce déguisement qui explique le fait que l’individu ne se reconnaît pas dans le rêve. D’où le double contenu du rêve : le contenu manifeste (qui est le rêve tel qu’il apparaît dans sa mise en scène) et le contenu latent (qui est la signification ou la vérité du rêve.) Cette vérité étant voilée, l’interprétation du rêve s’avère nécessaire pour comprendre les mécanismes de l’inconscient et nos pensées véritables. C’est pourquoi l’interprétation du rêve constitue « la voie royale d’exploration de l’inconscient. » Par ailleurs, le rêve a aussi une fonction physiologique. Il sert à faire écran à tout ce qui peut perturber le sommeil. Ainsi le rêve provient aussi du besoin de dormir. Dans Interprétation des rêves, FREUD le dit expressément : « tous les rêves sont des rêves de commodité, faits pour nous permettre de continuer à dormir. Le rêve est le gardien du sommeil et non son perturbateur. » (P.U.F, p. 205).
d.    La mémoire
Louis-Marie MORFAUX définit la mémoire comme un « ensemble de fonctions (ou de facultés) qui rendent le sujet capable de prendre conscience de son passé. » Ces fonctions sont la fixation ou enregistrement des faits, la conservation, le rappel ou évocation, la reconnaissance et la localisation ou chronologie du souvenir.   Mais où demeurent nos souvenirs avant leur évocation ?
Pour la théorie physiologique défendue d’une part par René DESCARTES, Baruch SPINOZA (1632-1677), Nicolas MALEBRANCHE (1638-1715), et d’autre part, par Théodule RIBOT (1839-1916), le cerveau en est le lieu de conservation. «La mémoire, soutient RIBOT, est par essence un fait biologique ; par accident, un fait psychologique. »
Mais BERGSON penche plutôt pour la théorie psychologique. Pour lui, cette mémoire est coextensive à la conscience qui retient tous les moments de la durée au fur et à mesure qu’ils se produisent : « toute conscience, écrit-il dans l’Energie spirituelle, est mémoire, conservation et accumulation du passé dans le présent. » Plus précisément, « il ne sert pas à conserver le passé, mais à le masquer d’abord, puis à en laisser transparaître ce qui est pratiquement utile. »
Pour FREUD (1856-1939), la mémoire est une preuve de l’existence de l’inconscient qui constitue alors le lieu de conservation des souvenirs dont la conscience n’a pas encore besoin. Car nos souvenirs ne sont pas tous présents à la conscience en même temps et pourtant ils existent dans le psychisme. Il n’y a donc pas de doute qu’ils séjournent en attendant dans l’inconscient.

C.    CRITIQUES DE L’INCONSCIENT FREUDIEN

1.     La psychanalyse après FREUD

    Jamais théorie n’aura autant bouleversé la culture que la psychanalyse qui semble faire autorité dans la grande majorité des sciences humaines et sociales. Cette œuvre va être poursuivie par les disciples de FREUD. Si pour le maître,  l’homme reste curieusement insignifiant, n’étant, en somme, que la source d’une aspiration au plaisir et un théâtre d’angoisse, chez le disciple Alfred ADLER (1870-1937), « l’accent porte sur un sujet qui cherche à se mettre en sécurité et à dominer les objets et les choses. » Pour ce disciple, c’est le sentiment de l’infériorité et particulièrement de l’infériorité physique qui détermine le comportement de l’homme. Ainsi les symptômes névrotiques  sont une façon de masquer, de compenser symboliquement cette infériorité. Là où FREUD parle de la sexualité comme explication et source de la vie psychique, ADLER propose donc le complexe d’infériorité. Un autre disciple, Carl G. JUNG (1875-1961), psychiatre suisse, va légitimer ces deux perspectives en estimant que l’explication freudienne vaut pour les extravertis tandis que la conception adlérienne est efficace à l’égard des introvertis. Aujourd’hui, les perspectives d’explications tout comme les méthodes d’exploration de l’inconscient sont bien nombreuses mais attestent toujours de la vitalité d’une pratique dont FREUD reste le pionnier.

2.     La question de la responsabilité de l’homme

a.     L’homme comme un simple animal
    La place et les caractéristiques de l’inconscient dans le psychisme semblent déterminer la responsabilité du sujet humain. Pour les partisans d’un psychisme entièrement conscient, l’homme était considéré comme un être totalement et entièrement responsable de ses actes. Car à la différence des animaux, il est défini par la conscience qui l’affranchit de l’animalité et de l’instinct pour lui offrir la responsabilité de ses choix. Mais la révolution psychanalytique met fin à cette supériorité en faisant de l’homme le théâtre dramatique des influences et de la gestion de son passé. Ainsi, la manière de vivre sa sexualité, les évènements traumatisants de l’enfance et l’éducation finissent par déterminer sa personnalité malgré lui, sans lui. Le moi, présenté par les rationalistes comme le signe de son affirmation n’est finalement rien d’autre qu’une émanation de l’inconscient. « La conscience règne mais ne gouverne pas » du poète et essayiste français Paul VALERY (1871-1945) répond en écho à cette terrible sentence : « le malheur de l’homme, c’est d’avoir été enfant. » Pour avoir été enfant, nous sommes, selon la psychanalyse, fatalement déterminés et tout ce que nous pensons, faisons, disons n’est que la marque indélébile de notre passé. « L’enfant est le père de l’homme » chantait le poète romantique anglais William WORDSWORTH (1770-1850).
b.     L’homme, un être responsable
    Le freudisme a été sévèrement remis en cause par certains penseurs comme ALAIN (1861-1951) – de son vrai nom Émile-Auguste CHARTIER –  pour qui l’inconscient tel que défini par FREUD, se présente comme un animal redoutable. En effet, admettre un système inconscient en l’homme, c’est porter atteinte à la moralité et surtout à la liberté du sujet. Or Freud tend à légitimer une double personnalité chez tous les êtres humains. Désormais, le sujet n’est plus responsable de la plupart de ses actes. Pourtant, la morale commande que l’on se réfère toujours à la conscience, à la raison, au moi, unique fondement de notre existence et de nos actions. Ce que réfute FREUD. C’est pourquoi, selon ALAIN, « la plus grave de ses erreurs est de croire que l’inconscient est un autre moi, un moi qui a ses préjugés, ses passions, ses ruses, une sorte de mauvais ange, diabolique conseiller… L’inconscient est une méprise sur le moi, c’est une idolâtrie du corps ». (Sentiments, passions et signes, Gallimard.) 
     Au delà donc de la morale et de l’équilibre social, il faut réhabiliter l’idée d’un psychisme conscient. Pour l’existentialiste Jean-Paul SARTRE (1905-1980), l’inconscient comme centre de l’homme signifie que le « Je » pensant est une illusion et qu’il serait mieux de dire « ça pense », « ça agit » plutôt que « je pense », « j’agis. » L’homme se trouve ainsi réduit à l’animal, à l’automate. Or, l’homme est un être de liberté c'est-à-dire un être responsable de ses actes. Dans cette perspective, SARTRE crie à « la mauvaise foi » des adeptes de l’inconscient freudien et de celui qui prétend agir sous l’effet de l’inconscient. Un tel individu renonce à sa responsabilité et à sa liberté. A l’analyse du système psychique freudien, le philosophe français dénonce le caractère paradoxal du surmoi. Celui-ci, prétend FREUD, discerne les pulsions et les autorise ou les réprime, selon le cas. Comment comprendre alors que ce surmoi qui est inconscient, donc aveugle, puisse discerner? Le surmoi freudien, pour être vrai, devrait faire partie de la conscience. Ainsi, l’homme redeviendrait responsable. Si FREUD a tenu, malgré tout, à faire du surmoi, une instance inconsciente, c’est pour donner l’illusion de l’irresponsabilité chez l’homme. En réalité, l’être humain agit par motif (en connaissance de cause) et non par mobile (de manière inconsciente). En tout état de cause, SARTRE refuse absolument toute idée d’inconscient. D’autres penseurs reconnaissent néanmoins l’existence de l’inconscient sans pour autant remettre en cause la liberté de l’homme. C’est notamment le cas de Henri BERGSON (1859-1941) dans son analyse de la mémoire (voir plus haut).
  CONCLUSION           
       Nous pouvons dire que nous sommes passés d’une philosophie admettant un psychisme totalement conscient, c’est-à-dire, exprimant l’absolue responsabilité de l’homme, à des théories soutenant plutôt l’existence d’un psychisme comprenant, à la fois, la conscience et l’inconscient. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’homme est de nature complexe : si la conscience le définit, l’inconscient ne manque pas de l’influencer, ce qui rend difficile sa connaissance par lui-même mais aussi par ses semblables avec qui il entretient des relations diverses. Mais ces présences ne mettent-elles pas en péril sa liberté ?





PROBLEME 2 : la société est-elle un obstacle à la liberté ?

Objectif : Situer l’homme dans ses relations complexes avec les autres  / Notions : Société, Droit et justice, Etat, Nation, Violence, Autrui, Liberté

 
INTRODUCTION

 

     Selon ARISTOTE (384-322 av. J.-C.), « par nature, l’homme est un animal politique et celui qui est hors cité est soit un être dégradé, soit un être surhumain. » C’est dire que la société est co-naturelle aux êtres humains. Exister, c’est donc co-exister. Cette coexistence, exerce inévitablement des influences sur les individus. A travers la présence d’autrui ou sous la forme d’institution organisée comme l’Etat, la société semble opposer des intérêts aux miens. Dès lors, mon aspiration à la liberté n’est-elle pas compromise ? Autrement dit, la société est-elle incompatible avec l’affirmation de ma liberté ?

    I.      LA SOCIETE COMME CADRE D’ALIENATION  

     En raison des influences qu’ils exercent, autrui et l’Etat sont présentés comme des obstacles à la liberté.

A.    AUTRUI, MON MALHEUR

    Parler d’intersubjectivité, c’est désigner les rapports que j’entretiens avec autrui. Autrui se définit comme l’alter ego (alter : l’autre et ego : moi), l’autre moi, le semblable, « le moi qui n’est pas moi » selon l’expression de Jean-Paul SARTRE (1905-1980). Etant donc différent de moi, l’autre est vu comme une entrave à la liberté.

1.     Autrui comme négation de soi

a.     L’illusion du « je »
      « Quand je parle, c’est la société qui parle en moi. » Cette allégation d’Émile DURKHEIM (1858-1917) traduit parfaitement la déformation dont je suis victime à cause de l’éducation et des évènements provoqués par autrui qui finalement déterminent ma personnalité, sans moi, malgré moi. En fin de compte, tout ce que je fais, ne dépend pas de moi. C’est mon passé, mon histoire qui agit à travers moi et me donne l’illusion que c’est moi. N’est-ce pas ce qui a poussé FREUD à parler  de l’irresponsabilité de l’homme face à ses conduites ? Je ne suis que ce que les autres m’ont fait être. Pire, je ne peux même pas exprimer librement cette personnalité qu’on m’a donnée.
b.     Une présence gênante
      La présence d’autrui est gênante et m’incline à faire sa volonté et à renoncer à mon être. (Cf. ROUSSEAU, Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes.) Son regard m’indispose. Jean-Paul SARTRE (1905-1980) relève que tout en me chosifiant, en m’objectivant (je suis un objet pour autrui), le regard d’autrui me photographie, me fige et « aliène mes possibilités. » En clair, je n’arrive pas à m’exprimer totalement et véritablement à cause de sa présence.  D’une certaine manière, cette présence d’autrui me tue. Ainsi autrui me réduit à porter des masques, à être un personnage plutôt qu’une personne.
c.     Autrui, un concurrent
    Si autrui n’existait pas, je serais le seul maître du monde ; tout m’appartiendrait. Mais la conscience de l’altérité m’oblige à partager, sinon à renoncer à certains biens. Nicolas MACHIAVEL (1469-1527), faisait remarquer que là où deux personnes visent la même chose et qu’il leur est impossible de l’obtenir en même temps ; ou bien ils s’affrontent, ou bien l’un est frustré. La concurrence et la rivalité débouchent ainsi sur une catastrophe.

2.     Autrui, un être agressif

a.     Le conflit comme fondement de l’intersubjectivité
    Chez Georg Wilhelm Friedrich HEGEL (1770-1831), le conflit est au fondement de l’intersubjectivité. En effet, toute conscience est animée par le désir d’être reconnue par les autres. Il s’en suit inévitablement un conflit que le philosophe allemand Johann Gottlieb FICHTE (1762-1814)  résume en ces mots : « toute conscience se pose en s’opposant. » Ce rapport conflictuel entre les consciences s’exprime, chez HEGEL, à travers sa fameuse dialectique du  maître et l’esclave. Celle-ci évoque la rencontre des consciences comme une lutte à mort dans laquelle celle qui s’avoue vaincue, pour ne pas perdre la vie, abandonne et se soumet[4]. De cette image, il ressort que chaque conscience, secrètement, poursuit la mort de l’autre. 
 b.     Une source d’insécurité
     « Homo homini lupus »,  «l’homme est un loup pour l’homme », soulignait Thomas HOBBES (1588-1679) dans le Léviathan. Cette réalité semble se confirmer, au vu de la méchanceté et de l’insécurité qui meublent notre quotidien. C’est à juste titre que FREUD dénonce, dans Malaise dans la civilisation, cette agressivité qu’il trouve dans la nature profonde de l’être humain : l’homme prend plaisir à « instrumentaliser », « agresser », « exploiter » sans scrupules son semblable. Son vœu le plus cher est, en fait, de se servir des autres, sans dédommagement. Un tel discours jetant du discrédit sur la « dignité » humaine fut fort contesté. Mais le père de la psychanalyse renvoie ses détracteurs vers des questions embarrassantes : pourquoi mettons-nous tant d’investissements dans les portes, clôtures, coffres-forts, ... si  ce n’est pour se protéger de son prochain ? N’est-ce pas d’ailleurs cette volonté d’exploitation et d’assouvissement du besoin d’agression de/sur son prochain, qui s’est institutionnalisée à travers l’Etat ?

B.    L’ETAT, OBSTACLE A LA LIBERTE

     Au sens large, L’Etat désigne une communauté humaine vivant sur un territoire géographiquement limité, soumis à un même pouvoir politique souverain et une législation ou constitution commune.  Mais ce vocable sert aussi à désigner le gouvernement et toutes les institutions par lesquelles se manifeste son autorité. Sous une forme ou une autre, l’Etat constitue une contrainte notamment avec l’apparition de la loi. 

1.     Droit naturel contre droit positif

     Le droit se définit comme l’ensemble des lois, qui régissent les actions en définissant ce qui est permis (les droits) et ce qui est exigé (les devoirs) aux citoyens. A l’état de nature, l’individu, mû par la liberté naturelle qui est le pouvoir de faire tout ce qui est humainement possible, n’a pour seule référence que sa seule raison pour définir le droit : on parle de droit naturel (encore appelé idéal ou rationnel). Selon Hugo GROTIUS (1583-1645), juriste, théologien et diplomate hollandais, le droit naturel « consiste dans certains principes de la Droite Raison, qui nous font connaître qu’une Action est honnête ou déshonnête, selon la convenance ou la disconvenance nécessaire qu’elle a une Nature Raisonnable et Sociable. » Mais dans le passage de l’état de nature à l’état civil, l’homme change de source de droit et perd sa liberté naturelle. Ainsi, apparaissent des lois relevant d’une instance extérieure à soi : c’est le droit positif ou civil. Ces lois qui sont censées rationaliser la vie de l’individu s’opposent, dans la plupart des cas, au droit naturel  fondé uniquement sur la raison individuelle. Ainsi, avec l’Etat, la légalité (droit positif) est souvent en conflit avec la légitimité (droit naturel). La loi civile, parce qu’elle relève de l’objectivité, constitue un problème pour le sujet. Dans ces conditions, seule la contrainte peut garantir son obéissance. Dans cette optique, l’Etat ne se fait pas prier pour recourir à la violence.

2.     Le pouvoir étatique et la violence

     De par sa structure et son organisation, l’Etat est indissociable du pouvoir. Or le pouvoir lui-même est un moyen de contrainte dont dispose son détenteur pour assurer les fonctions dont il est investi. Le pouvoir s’applique donc à l’exercice de la puissance dans le domaine politique. Dans Pour décoloniser l’enfant, Gérard MENDEL écrit : « toute autorité n’est jamais que le masque mystifiant de la violence. » Il va sans dire que l’Etat va de pair avec la violence, si tant est que ce terme désigne, ici, toute atteinte d’ordre physique ou morale portée à l’intégrité de la personne humaine.
      La force de l’Etat repose, en partie, sur l’usage de la violence morale. C’est ce que Louis ALTHUSSER (1918-1990) appelle les AIE, Appareils Idéologiques de l’Etat. Il s’agit, entre autres de l’école, la religion, les mass media. Les AIE permettent, de manière, plus ou moins subtile, d’influencer psychologiquement et moralement les populations pour les incliner à obéir. Pour prévenir ou réprimer toute possibilité d’insoumission, l’Etat dispose des ARE (Appareils Répressifs de l’Etat) : armée, police, milice, prison,… Ces instruments de la violence légale montrent le caractère coercitif de l’Etat, lequel est dénoncé et combattu par les anarchistes[5] comme Mikhaïl Aleksandrovitch BAKOUNINE (1814-1876) : «L’Etat est un vaste cimetière ou viennent s’enterrer toutes les manifestations de la vie individuelle. » Autrement, l’Etat est un obstacle à l’expression des libertés.

3.     Un instrument d’exploitation et d’injustice

     Si l’Etat était au service du peuple, comme on le prétend, on pourrait comprendre et accepter les restrictions qu’il nous impose.  Or selon Karl MARX (1818-1883) et Friedrich ENGELS (1820-1895), L’Etat est lié à la division de la société en deux classes : bourgeoisie (les oppresseurs) et prolétariat (les opprimés). A ce titre, c’est un instrument de domination et d’exploitation de la majorité prolétarienne par la minorité bourgeoise. En effet, dans L’idéologie allemande, l’Etat n’est rien de plus que la forme d’organisation que les bourgeois se donnent envers l’extérieur comme envers l’intérieur pour la garantie réciproque de leur propriété et de leurs intérêts. A travers toute sa superstructure (AIE, ARE), il sert surtout à sauvegarder les intérêts économiques des gouvernants. La loi n’est donc qu’un moyen de masquer l’expropriation du peuple. Les grands mots comme « la république», « la nation », « la patrie »,  « l’Etat » ne sont que des discours idéologiques pour tromper. D’où cette formule de Friedrich Wilhelm NIETZSCHE (1844-1900) : « L’Etat, c’est le plus froid de tous les monstres froids. Et il ment froidement ;  ce mensonge glisse de sa bouche: moi l’Etat, je suis le peuple. » Ces paroles instruisent assez bien sur le fossé démagogique qui sépare le discours officiel des politiques et la réalité. L’Etat, par là même, fait du peuple un moyen plutôt qu’une fin.
    De ce qui précède, la société, sous toutes ses formes, semble être particulièrement aliénante. Mais n’est-elle pas un moindre mal, vu les conséquences probables de son absence ?

   II.      LA SOCIETE COMME SOURCE DE LIBERTE

     C’est parce que nous avons souvent présenté la liberté comme synonyme de l’indépendance qu’il nous arrive de la confondre avec la licence voire le libertinage. Avec Jean Jacques ROUSSEAU (1712-1778), la liberté acquiert un sens noble, moral et digne de l’homme en ce qu’elle ne tient pas compte des conditions de l’action mais plutôt de la fin. Dans ce sens, est libre celui qui agit dans le sens de son bien même s’il y a été contraint. D’où cette curieuse phrase : « on peut contraindre à la liberté » c’est-à-dire poser des actes contre le gré d’autrui sans porter atteinte à sa liberté. A la vérité, ROUSSEAU nous invite à ne pas confondre liberté et indépendance.

A.    AUTRUI, FACTEUR DE LIBERTE

1.     Autrui, source d’existence et d’humanisation

     Quelle ingratitude que de voir en autrui un mal ! N’est-ce pas celui qui nous donne la vie, nous entretient et nous éduque afin que nous soyons des hommes accomplis ? C’est à autrui que nous devons d’être des hommes, car comme en témoigne Lucien MALSON dans Les enfants sauvages, « les hommes ne sont pas des hommes hors de l’ambiance sociale. » L’enfant, hors de la société devient étrange et étranger à l’humanité. Si nous parlons de liberté, c’est justement parce que la société nous aura donné la conscience de cette liberté et les moyens pour la gagner. Aussi Gabriel MARCEL (1889-1973) a pu dire : «autrui me réveille de mon sommeil existentiel.» C’est donc autrui qui me révèle mon humanité. Sa présence s’avère par ailleurs  utile.

2.     Autrui, une aide et une consolation

      Dans les difficultés comme dans le chagrin, la présence d’autrui constitue un réconfort inestimable. C’est lui qui m’aide à réaliser certaines choses que je n’aurais pas réussies si j’étais seul. La sagesse biblique n’en disconvient pas lorsqu’elle affirme dès le début du livre de la Genèse : « il n’est pas bon que l’homme soit seul.» Dès lors, autrui devient un compagnon indispensable. Roger GARAUDY peut donc répondre à SARTRE : « l’enfer, c’est l’absence des autres. » N’est-ce pas, par ailleurs, autrui qui révèle les douceurs de l’existence, quand il nous entraîne jusqu’à l’extase suprême ?

3.     Autrui, source de responsabilité

     Si nous voyons en autrui un être gênant, c’est souvent parce que nous sommes conscients que ce que nous faisons ou projetons n’est pas bon.  En effet, seul, l’homme a des difficultés pour conquérir sa liberté. Mais le regard d’autrui ou son jugement constitue de puissantes motivations pour assumer son humanité et sa liberté. Le mythe de l’anneau de Gygès, dans La République de PLATON (v. 428-347 av. J.-C.), montre bien que, comme Gygès, l’homme n’est pas juste de nature ; s’il est assuré que les autres ne se rendront pas compte de son injustice et qu’il n’encourt aucune sanction, il n’hésitera pas à agir mal. C’est donc par contrainte que l’homme est sociable et responsable. Si j’ai honte en face d’autrui, c’est parce que je prends conscience que mon acte est mauvais. Autrement, j’en éprouverais soit de la fierté, soit rien du tout. Dans l’analyse qu’il fait justement de la honte, SARTRE souligne la double reconnaissance qu’elle revêt : « La honte est par nature reconnaissance. » Par elle, je reconnais la présence d’autrui car la honte est toujours honte de soi devant quelqu’un. En même temps, elle est reconnaissance de soi car elle me dispose à analyser mes actes et mes gestes. C’est dire que le semblable est un argument indiscutable de responsabilité et donc de liberté. N’en est-il pas de même pour l’Etat ?
 

B.    L’ETAT, UNE NECESSITE

     Quoique contraignant, l’avènement de l’Etat, selon certains penseurs, devrait plutôt être vu comme un bienfait extraordinaire, du moins si l’on s’en tient à son impact sur la vie individuelle et collective.

1.     La garantie de paix et de sécurité

     Dans le chapitre 2 du livre I du Discours sur la première décade de Tite-Live, MACHIAVEL (1469-1527) décrit l’état d’une société où manque la force de l’Etat : « chaque individu ne consultant que ses passions, il se commettait tous les jours, mille injustices. » C’est dire que l’anarchie (absence d’organisation) est difficilement conciliable avec la sécurité. Aux dires de penseurs politiques aussi opposés que ROUSSEAU et HOBBES, l’Etat, moyennant certaines dispositions, a, au moins l’avantage de garantir la paix et la sécurité des citoyens. Leur conclusion se fonde sur la condition de l’homme à l’état de nature. Par état de nature, il faut entendre, avec ROUSSEAU, un état hypothétique de l’homme avant toute forme de vie ou d’organisation sociale (état civil), « état qui n’existe plus, qui n’a peut-être point existé, qui probablement n’existera jamais » mais qui constitue une hypothèse féconde pour juger de notre état présent. (Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes.) Que serait donc l’homme, sans Etat et sans société ? Pour HOBBES, il serait dans un état de guerre permanent, la «guerre de chacun contre chacun» en raison de la méchanceté naturelle de l’homme. (Léviathan.) Même si ROUSSEAU, lui, fait l’apologie du « bon sauvage », il reconnaît néanmoins que la raréfaction des moyens de subsistance, au fil du temps, rend inévitables les conflits et met en danger chaque individu. Au fondement de l’Etat, il y a, donc, un besoin de sécurité et de paix qui passe par la mise en commun des forces. Une telle union, par laquelle s’effectue le passage de l’indépendance naturelle à la liberté civile implique nécessairement l’aliénation des volontés individuelles au profit du bien commun. Les volontés individuelles doivent alors céder à « la volonté générale », voix de la raison exprimant ce qui est dans l’intérêt de tous. L’Etat va, alors, de pair avec la loi en tant que disposition émanant de la «volonté générale» visant à régir les rapports interhumains. (Cf. Du contrat social.) De ce fait il est indissociable de la justice.

2.     L’Etat,  Lieu du droit et de la justice

     Du latin justitia (conformité avec le droit), la justice se définit comme le fait de traiter les citoyens, de manière égalitaire, en vertu de la loi. En tant qu’institution, ce vocable sert à désigner l’ensemble des institutions publiques  et des personnes ayant pour fonction officielle d’appliquer les lois. Chez PLATON, dans La république, la justice, l’une des quatre vertus cardinales (avec la sagesse, la tempérance et le courage) est en nous comme dans l’Etat, l’ordre qui maintient chacune des forces intérieures, à sa place et dans sa fonction. Mais à la suite de ARISTOTE (qui sera repris plus tard par Saint THOMAS D’AQUIN (1225-1274)),  on parle de deux formes de justice : la justice commutative qui règle les rapports entre personnes privées de façon que les échanges (commutatio) s’accomplissent selon une loi d’égalité arithmétique notamment dans les contrats ; et la justice distributive, directive ou corrective qui concerne les rapports de la société ou de l’Etat avec ses membres et assure une répartition des biens et des charges publics proportionnellement aux mérites et capacités de chacun y compris la justice répressive entendue comme celle qui réprime les fautes. Dans ce sens, la justice est une réalité indissociable de l’Etat. Johann Wolfgang Von GOETHE (1749-1832), poète, écrivain et dramaturge allemand, pouvait ainsi dire : « je préfère l’injustice au désordre. » Cette boutade veut simplement montrer que hors de l’Etat, en l’absence de tout droit, toute loi, même les actes les plus ignobles sont légitimes. C’est l’apparition du droit qui permet de qualifier les faits et de parler de justice et d’injustice. Pierre Joseph PROUDHON (1809-1865), écrivain et théoricien politique français, peut ainsi définir la justice comme « le respect spontanément éprouvé et réciproquement garanti de la dignité humaine, en quelque personne et dans quelque circonstance qu’elle se trouve comprise, et à quelque risque que nous impose sa défense. » (In Vocabulaire de la philosophie et des Sciences humaines de Louis-Marie MORFAUX, Armand Colin, p. 188). Il va sans dire que c’est l’obligation de respecter la dignité humaine dans la personne d’autrui et aussi le droit d’exiger des autres le respect de la dignité humaine dans sa propre personne. La loi vient donc pour rendre possible la justice. C’est pourquoi pour le philosophe allemand HEGEL, la loi incarne la raison et le droit, peu importe sa dureté. Et s’élever contre elle, témoigne d’un vain sentimentalisme : « la loi est, dans chaque chose, la raison et elle ne permet pas au sentiment de s’exalter dans sa propre particularité. » (Principes de la philosophie du droit, Préface, Trad. A. Kan, Idées Gallimard, p. 37) Si l’homme n’est juste que sous la contrainte, ce n’est que dans le cadre de l’Etat que la justice se réalise.

3.     La construction de la nation

     Les conflits européens inspirent à Joseph Ernest RENAN (1823-1892), philologue français et historien des religions, son essai philosophique Qu’est-ce qu’une nation ? (1882). RENAN met en avant les différents éléments constitutifs d’une nation : la race, la langue, la religion, la géographie, mais il ajoute que le fondement d’une nation est essentiellement affectif et intellectuel : « Une nation est une âme, un principe spirituel [...], c’est l’aboutissement d’un long passé d’efforts, de sacrifices et de dévouements ; avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent, avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les questions essentielles pour être un peuple. » Pour Renan, la nation est le sentiment d’avoir un passé commun et un avenir à construire ensemble. Toutefois, le sentiment d’appartenance à une même entité, d’un vouloir-vivre ensemble, n’est pas une évidence. Aujourd’hui même, de nombreuses sociétés ignorent la réalité de l’Etat, au point qu’il est, par exemple, fréquent que, dans un Etat africain, les gens se définissent davantage par leur appartenance ethnique que par leur citoyenneté officielle. Ce qui est source constante de conflits. C’est à une société organisée comme l’Etat qu’il revient de forger une âme collective à ces peuples hétérogènes.

4.     Les moyens de l’Etat, source de stabilité

     Pour atteindre ses objectifs, L’Etat a besoin des moyens que sont le pouvoir et la violence.
a.         Le pouvoir, source d’ordre
    L’État est immédiatement perçu comme la forme la plus évidente du pouvoir. Georges BALANDIER (né en1920) anthropologue et sociologue français,  dans l’Anthropologie politique, définit « le pouvoir comme résultant pour toute société de la nécessité de lutter contre l’entropie qui la menace de désordre. » Sous quelque forme que ce soit, le pouvoir introduit donc la hiérarchie par opposition à l’anarchie (absence de pouvoir), souvent cause de désordre. La hiérarchie désigne une série de relations politiques, sociales (administration, profession,…) telle que chaque terme (à l’exception du chef qui en est le sommet) dépende de celui qui précède et commande celui ou ceux qui suivent. Ainsi dans l’Etat, il existe dans les rapports humains, une graduation déterminée de l’autorité et une délimitation exacte des attributions ou fonctions de chaque degré.
   On peut donc parler de plusieurs pouvoirs dans l’Etat qui sont censés garantir l’ordre. Cette omniprésence du pouvoir peut se ressentir différemment selon le type de régime politique. Par exemple, l’absolutisme, au sens strict, est un système politique dans lequel tous les pouvoirs sont détenus par un monarque. Dans la démocratie[6] par contre, le pouvoir appartient au peuple.
b.         la violence étatique
      A priori, La violence est, sans doute, négative. Le quotidien nous la montre s’exerçant sous les formes les plus variées : violence purement physique (la torture…) ; violence psychologique ou morale (par pression…) ; violence économique de l’exploitation des classes ou des pays défavorisés ; violence à but politique des régimes totalitaires, des génocides..... Mais l’irruption de la violence dans l’Etat semble répondre aux théories de l’état de nature qui depuis HOBBES reconnaissent la méchanceté naturelle de l’homme. Ce choix (la violence de l’Etat) se comprend aisément « dès que l’on admet que le comportement de l’homme, et tout particulièrement son comportement social, loin d’être uniquement déterminé par la raison et les traditions culturelles, doit encore se soumettre à toutes les lois prédominantes dans le comportement instinctif adapté par la phylogenèse.» écrit l’éthologue K. LORENZ dans L’agression. Il s’agit d’admettre que dans l’homme, il subsiste une agressivité originelle. Puisque ce n’est pas la nature qui peut contrôler la violence humaine, il faudrait que ce soit la société par le biais de l’éducation, de la pratique de compétitions et d’agressions symboliques et inoffensives (sports, militantisme,...) mais aussi et surtout les forces de l’ordre, etc. En montrant qu’il demeure toujours des failles dans le tissu social, des fissures par où l’irrationnel le plus dangereux peut resurgir quelle que soit la rigueur des lois, la violence étatique porte effectivement ou symboliquement atteinte à cette malignité. « S’il n’existait que des structures sociales d’où toute violence serait absente, le concept d’Etat aurait disparu et il ne subsisterait que, ce qu’on appelle, au sens propre du terme, l’‘‘anarchie’’. » Ce mot du sociologue allemand Max WEBER (1864-1920) vient légitimer l’usage de la violence qui vient réparer ou restaurer la paix.

5.     L’universalisation de l’Etat, source de paix entre les nations

     Avant que l’Etat ne soit une réalité universelle, les rapports entre les peuples étaient pratiquement fondés sur la loi du plus fort. Mais avec son apparition, il existe une sorte d’ordre et de discipline concrétisée par les rapports inter-étatiques qui obéissent, tout de même, à un minimum de règles. Dans la vie internationale, tous les États[7] sont reconnus souverains et égaux. Et on ne peut se permettre de porter sans raison valable atteinte à la souveraineté ou à la sécurité d’un autre Etat. Les États sont soumis au respect du droit international. Désormais, paix et sécurité sont possibles.
     De la sorte, au delà des prétentions machiavéliques qu’on lui prête, l’Etat paraît travailler aux intérêts des citoyens. Même s’il existe de mauvais Etats, on ne doit pas oublier qu’en principe, il entend aider à l’avènement de la justice et de la paix en rendant compossibles nos différents intérêts.
CONCLUSION
     Nous ne pouvons pas nier le fait que l’existence de l’homme en tant que coexistence nous interdit l’accès à une liberté absolue. Il faut donc tenir compte de l’autre et également admettre un lieu commun juridique qui rende possible notre cohabitation. La liberté des uns ne sera réelle que si elle s’arrête là où commence celle des autres. D’où faut-il comprendre que loin d’être un obstacle, la société, à travers ses habitudes, règles et institutions entend promouvoir la liberté de l’individu. Mais  cette liberté est-elle compatible avec la religion ?


PROBLEME 3 : La religion est-elle  facteur d’aliénation ou de libération ?
Objectif : établir l’impact de la croyance en Dieu et de la pratique religieuse sur la liberté de l’homme./ Notions : Dieu et la religion, l’obligation morale
 
INTRODUCTION

     L’expérience nous montre que la question de la religion et à travers elle, celle de Dieu, constitue un centre d’intérêt pour tous les peuples. A quelques degrés près, les civilisations ont toujours admis l’existence de forces surnaturelles auxquelles l’on voue un culte plus ou moins important. On a, ainsi, pu considérer  la religion comme l’un des traits caractéristiques de l’humanité. Malgré leur divers ité, les croyances religieuses ont, en commun, d’imposer des règles et des conduites dont l’origine, extérieure aux croyants, est souvent attribuée à Dieu. Dans ces conditions, la religion ne se présente-t-elle pas comme un joug? Poser une telle interrogation, n’est-ce pas déjà remettre en question Dieu ?

    I.      DIEU EN QUESTION

     Du latin deus et du grec theos, Dieu se trouve, dans la plupart des cas, au centre de la pratique religieuse. Si pour l’homme vulgaire, il désigne  un être particulier considéré comme supérieur, créateur et source de tout ce qui existe, il faut reconnaître que ses caractéristiques ne font pas l’unanimité parmi ceux qui croient à son existence.

A.    LES DIFFERENTES CONCEPTIONS DE DIEU

     Les conceptions philosophiques et religieuses ont presque toujours divergé. Blaise PASCAL (1623-1662) a ainsi pu opposer le «Dieu de la foi», réalité vécue, vivante, au « Dieu des philosophes », idée abstraite. Certains théologiens ont cependant essayé de combiner l’approche philosophique et l’expérience directe de Dieu, comme l’Allemand Paul Johannes TILLICH (1886-1965). Cependant, il reste que philosophes et religieux parlent différemment de Dieu.

1.     Le théisme

     C’est la croyance dans un être suprême qui est la source et le soutien de l’univers et qui est en même temps distinct de cet univers. Le théisme est généralement considéré comme la doctrine du Dieu unique, suprême, personnel, tel que « en lui nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Actes des Apôtres, XVII, 28). C’est une position héritée des religions révélées, particulièrement du christianisme, qui se retrouve chez des philosophes aussi divers que Saint AUGUSTIN (354-430), Saint THOMAS D’AQUIN (1225-1274), LEIBNIZ, PASCAL, … L’un des traits fondamentaux du théisme est l’affirmation de la transcendance de Dieu (situé « au-dessus » et « au-delà » du monde) et d’attributs particuliers : omniscience, omnipotence, omniprésence, bienveillance. Dieu est ainsi un être excellent mais également infini et mystérieux. Le caractère mystérieux est d’ailleurs souligné par Gabriel MARCEL (1889-1973) : « quand je parle de Dieu, ce n’est pas de Dieu que je parle. »  C’est dire que la réalité divine dépasse tout discours rationnel. C’est pourquoi même les représentations théistes diffèrent en plusieurs points sur la nature et les attributs précis de Dieu. Cette conception de Dieu a été la plus violemment critiquée par les athées.

2.     Le déisme

     S’opposant au théisme, le déisme est une philosophie religieuse rationaliste, qui s’épanouit aux XVIIe et XVIIIe siècles en Angleterre, puis en France et en Allemagne. Les déistes opposaient la religion naturelle ou universelle, inhérente à tout individu et accessible par l’exercice de la raison, aux religions positives ou historiques, dont ils réfutaient les dogmes fondés sur la révélation ou sur les enseignements d’une Église en particulier. Le déisme émergea comme un courant religieux et philosophique majeur en Angleterre. Ses principaux représentants au XVIIe siècle étaient Edward HERBERT, John TOLAND et Charles BLOUNT, qui, tous, plaidaient pour une religion rationaliste et critiquaient les éléments surnaturels et non rationnels des traditions juives et chrétiennes. La confiance dans le pouvoir de la raison ainsi que l’opposition au fanatisme et à l’intolérance eurent une influence déterminante sur des philosophes tels que John LOCKE (1632-1704) et David HUME (1711-1776), VOLTAIRE (1694-1778), FICHTE, … L’idéalisme de Léon BRUNSCHVICG (1869-1944) qui fonde ce qu’il est convenu d’appeler la « religion de  l’esprit» se rattache à cette conception. Pour lui, Dieu n’est pas un être qui existe, c’est le principe de vérité et de justice intrinsèque à chaque individu. Dans ce sens, dire par exemple que Dieu est amour, c’est admettre qu’il y a en nous un principe d’amour : Dieu est donc « ce qui aime en nous. »

3.     Le panthéisme

     Le panthéisme, des mots grecs pan, tout et theos Dieu,  est une doctrine qui identifie l’univers à Dieu. Dieu est immanent au monde c’est-à-dire que l’univers est en lui et non hors de lui. Bien que le terme ne soit apparu qu’au XVIIe siècle, il désigne une doctrine dont les origines remontent au stoïcisme et au néoplatonisme. Pour les stoïciens, l’univers est un être vivant dont Dieu est l’âme. Ainsi les âmes humaines ne sont, elles-mêmes, que des parcelles du souffle divin. PLOTIN (205-270 apr. J.-C.) affirme, avec le néoplatonisme, l’existence d’une réalité divine qui préside au destin du monde, considérant par conséquent que la nature et les conditions humaines sont une manifestation de Dieu. En somme, chez lui, la diversité des êtres dans l’univers (le multiple) ne procède pas de l’Etre (l’Un, Dieu) par création, mais plutôt résulte de l’éparpillement de cet Etre dans le temps et dans l’espace. Pour le philosophe hollandais Baruch SPINOZA (1632-1677), les êtres physiques de la nature (la nature naturée) ne sont pas des créatures de Dieu mais plutôt des parties de Dieu. Ce sont « des modes finis de la substance infinie. » L’allemand Friedrich HEGEL (1770-1831) reprend à son compte le panthéisme sous une forme nouvelle. Dieu est ici, l’Esprit, l’Absolu qui se réalise progressivement dans l’histoire. Dans ce processus, tout ce que contient l’univers représente la forme concrète de Dieu qui ne se révèlera dans toute sa plénitude qu’à la fin de l’histoire.

4.     L’agnosticisme

    Du grec agnostikos, « inconnaissable », l’agnosticisme est une doctrine selon laquelle la connaissance de Dieu et d’autres êtres spirituels n’est pas possible et qu’on ne peut prouver son existence ou sa non-existence. Dieu, pense Sully-PRUDHOMME (1839-1907), est « ce qui me manque pour comprendre ce que je ne comprends pas. » Pour le poète français, on ne peut s’en faire aucune idée. Bien que généralement considéré comme une forme de scepticisme, l’agnosticisme est d’une étendue plus restreinte, car il ne veut réfuter la fiabilité que des croyances métaphysiques et théologiques, et non de toutes les croyances. Le fondement de l’agnosticisme moderne se trouve dans les travaux du philosophe écossais David HUME et du philosophe allemand Emmanuel KANT (1724-1804) qui mirent tous deux en évidence des erreurs de logique dans les arguments traditionnels qui soutiennent l’existence de Dieu et de l’âme. Le développement d’Emmanuel KANT concernant le quatrième conflit transcendantal est une illustration patente de cette conception. (Lire Critique de la raison pure, Garnier Flammarion, Paris, 1987, pp. 391-397.)
     Comme on le voit, l’idée de Dieu pose problème. Mais la question de son existence divise encore plus.

B.    DIEU ENTRE AFFIRMATION ET NEGATION

1.     L’athéisme ou la négation de Dieu

     Désignant d’abord l’appartenance à une autre religion (les Romains du Ier siècle qualifiaient les chrétiens d’« athées », entendant par là que ceux-ci rejetaient le culte polythéiste traditionnel), l’athéisme (du grec a, « non » et theos, « dieu ») est la doctrine qui nie l’existence de Dieu. A la suite du professeur Henri ARVON, nous distinguerons deux formes d’athéisme : l’athéisme relatif (révolte contre Dieu tel qu’il est décrit par les croyants, notamment les théistes) et l’athéisme absolu (négation complète et absolue de Dieu).
a.         Historique de l’athéisme
    Les plus anciennes prises de position s’apparentant à l’athéisme - qui a évolué vers une mise en cause systématique des croyances aux divinités - sont consignées dans des textes d’inspiration religieuse. Dans la philosophie d’HERACLITE (v. 540 av. J.-C.-v. 475 av. J.-C.), les représentations religieuses se trouvent parfois ébranlées par des propos tels que « ce monde, nul dieu ne l’a fait ». Ce n’est cependant qu’avec DEMOCRITE (v. 460-v. 370 av. J.-C.), au début du IVe siècle av. J.-C., que fut élaborée, en Grèce, la première conception athée du monde, qui ne supposait la préexistence d’aucun esprit divin. La dimension critique et polémique de l’athéisme ne cessera de s’amplifier au cours de l’histoire en se fondant sur de nombreux arguments.
b.         les fondements de l’athéisme
i.          Une réalité invisible
     Pour la philosophie matérialiste, théorie selon laquelle toute existence peut être ramenée à la matière, l’existence de Dieu ne repose sur rien de concret. Les premiers philosophes de l’Antiquité grecque tels qu’HERACLITE, qui admettaient l’existence de Dieu, posèrent la primauté de la physis (« nature »), c’est-à-dire de la matière, sur toute chose existante. DEMOCRITE et ÉPICURE (341-270 av. J.-C.), tout en considérant que les dieux ne s’occupaient pas de l’homme, affirmaient la matérialité de tout ce qui existe ; ils soutenaient que les hommes devaient donc se défaire de la crainte des dieux, ce qui allait leur permettre d’envisager le savoir, la « science », comme la base d’un matérialisme pratique. Le mot « matérialisme » introduit par LEIBNIZ qui l’employa pour la première fois en 1687, sera défini par Christian von WOLFF (1679-1754), l’un des fondateurs de la psychologie moderne, dans Psychologia rationalis (1734) : « On appelle matérialistes les philosophes qui affirment qu’il n’existe que des êtres matériels ou corps. » On comprend, dès lors, leur position au sujet de Dieu dont on ne peut avoir, selon eux, la preuve concrète, physique. Même la Bible reconnaît ouvertement : « Personne n’a jamais vu Dieu ! » Quoi de plus normal donc qu’au XVIIIe siècle, le matérialisme athée dont les principaux représentants sont Denis DIDEROT, Paul-Henri d’HOLBACH (1723-1789) et Julien Offroy de LA METTRIE (1709-1751), rejette Dieu, cet être impalpable, invisible. C’est d’ailleurs ce défaut de réalité physique qui alimente les divergences au sujet de sa nature.
ii.         Des conceptions divergentes au sujet de la nature de Dieu
    Comme on l’a vu plus haut, ceux qui défendent l’existence de Dieu sont divisés sur sa nature. On a ainsi pu dire qu’il y a autant de dieux que d’hommes car même à l’intérieur d’une religion, chacun se représente Dieu avec des caractères propres à lui. Cette tentation anthropomorphique dans la conception de Dieu est exprimée dans ces mots de XENOPHANE de Colophon (fin du VIe-début du Ve siècle av. J.-C.), poète, philosophe et réformateur religieux grec : « les Ethiopiens font leurs dieux noirs avec le nez camus ; les Thraces disent que les leurs ont les yeux bleus et les cheveux rouges… Si les bœufs … avaient des mains … (ils) peindraient les formes de dieux pareilles à celles des bœufs. » (In La Raison et la Religion de Léon BRUNSCHVICG.) Le moins qu’on puisse dire, c’est que chacun présente Dieu à son image. Et le nombre impressionnant de représentations constitue, à n’en point douter, un discrédit fondamental de son existence. Cela a poussé même certains esprits à postuler que Dieu n’est que le produit de l’imagination.
iii.        Le problème du mal
    L’argument principal que l’on oppose aux croyants pour révoquer toute réalité de Dieu est le problème du mal. Le théisme relève l’omniscience, l’omniprésence, l’omnipotence et la bienveillance de Dieu. Et pourtant, « le monde, écrit Victor HUGO (1802-1885), est une fête où le meurtre fourmille.» Face à ce spectacle malheureux et triste de catastrophes naturelles, de guerres, de viols et d’assassinats, n’y a-t-il pas lieu de douter de ces qualités ? Un Dieu bon et tout-puissant peut-il rester indifférent aux souffrances humaines ? SPINOZA (1632-1677) relève dans l’Appendice du Livre I de l’Ethique que « les biens et les maux surviennent indistinctement aux hommes pieux et aux impies» comme pour dénoncer l’absence de justice naturelle, les méchants prospérant et les bons souffrant. Dans cette situation, deux hypothèses s’imposent : soit Dieu est méchant voire cynique, soit il est incapable de faire face au mal. Or dans les deux cas, il cesserait d’être Dieu s’il est dépouillé de ses attributs. C’est peut-être cette conclusion qui transparaît dans ces mots de STENDHAL (1783-1842), de son vrai nom Henri BEYLE : « la seule excuse de Dieu, c’est qu’il n’existe pas. » 
    Devant ces arguments, les penseurs croyants vont élaborer des contre-arguments pour justifier Dieu.

2.     Les preuves de l’existence de Dieu

    Des arguments classiques ont servi à soutenir l’existence de Dieu.
a.         Quelques arguments traditionnels
i.          L’argument ontologique
    De nombreuses tentatives ont été faites pour prouver la réalité de Dieu. Selon l’argument ontologique défendu par le théologien scolastique Saint ANSELME (v. 1033-v. 1109), l’idée même d’un être parfait prouve son existence, car l’existence est elle-même un aspect de la perfection. Influencé par saint AUGUSTIN, ANSELME définit d’abord Dieu comme l’être parfait et étudie les attributs divins dans le Monologium (1077). Encouragé par les réactions favorables à sa doctrine, il développe, dans le deuxième chapitre de Proslogium, la preuve ontologique de l’existence de Dieu en 1078. Dès lors, ceux qui doutent de l’existence de Dieu devraient appréhender le Créateur comme l’être parfait. Car, il est possible de concevoir l’être parfait, et par là même de fournir la preuve indubitable de l’existence de Dieu en reconnaissant que le parfait ne peut pas ne pas exister sans être imparfait. Dans le Discours de la méthode, DESCARTES poursuivra dans ce sens en précisant que la perfection, dont j’ai idée et dont je suis la copie imparfaite, contient en elle-même toutes les qualités dont celle de l’existence de Dieu.
ii.         L’argument génétique
    Au XIIIe siècle, le théologien Saint THOMAS D’AQUIN rejeta l’argument ontologique mais proposa d’autres preuves de l’existence de Dieu. Entre autres, il énonça ce qu’il est convenu d’appeler l’argument génétique. Celle-ci postule que chaque être a une cause ; la chaîne de causalité doit trouver son origine dans une cause première qui n’a pas de cause, « il faut arriver à un premier moteur qui ne soit mû par nul autre. » (In Somme théologique, tome 1, Paris, Éditions du Cerf, 1990) Cette cause du monde, c’est Dieu. Saint THOMAS s’est inspiré de la pensée aristotélicienne qui insinuait déjà : Dieu est la « cause incausée, cause des autres causes. »
iii.        L’argument téléologique.
    On ne peut qu’être impressionné par l’ordre et la rationalité des choses du monde. Tout est si bien organisé. Chaque chose semble être à sa place et l’harmonie universelle surprend le savant le plus grand. Devant l’ordre et le dessein de la nature, l’exigence d’un être possédant la plus grande sagesse, une intelligence que des siècles de science n’arrivent pas à égaler, s’impose. Rien de tout cela n’est le produit du hasard. C’est pourquoi pour Saint THOMAS D’AQUIN, Dieu est le garant de l’ordre de l’univers.
iv.        Les preuves morales
    Ces arguments en faveur de la réalité de Dieu ont été abondamment critiqués par Emmanuel KANT qui estime qu’aucun d’eux ne constitue une preuve véritable car pouvant être battus en brèche. Dans la Critique de la Raison pure, il indiquait déjà que les arguments pour et ceux contre la réalité de Dieu se valent. Dès lors, il faut voir l’existence de Dieu comme une exigence morale plutôt qu’une exigence logique. C’est la crainte d’un Dieu juste qui récompensera les bons et punira les méchants dans l’au-delà qui peut encourager à bien agir. Ici, KANT reprend toute l’eschatologie des religions révélées par laquelle se résout le problème du mal. En effet, le silence de Dieu n’est pas indifférence. S’il laisse chacun prospérer dans son choix, c’est moins par impuissance ou méchanceté que par amour. La patience de Dieu envers les méchants, indique l’apôtre PAUL dans Romains 2 : 4, n’est pas signe de faiblesse, mais volonté de pousser l’homme à la repentance pour éviter le châtiment réservé au méchant. D’ailleurs ce que l’on considère comme mal n’est-il pas mauvais jugement ? La science estime à quatre-vingt milliards, le nombre d’individus ayant vécu sur la terre. Si la mort n’existait pas, la vie serait-elle possible ? N’est-ce pas, par ailleurs, la mort qui donne sens et importance à la vie ? « Les voies de Dieu, dit la Bible dans le livre d’Esaïe, ne sont pas nos voies. » Si nous les comprenions, nous saurions que « nous sommes dans le meilleur des mondes possibles » selon le mot de LEIBNIZ que VOLTAIRE (1694-1778) combattit longtemps avant de reconnaître que « si Dieu n’existait pas, il aurait fallu l’inventer. »

b.         Dieu, une affaire de foi
     En dernier ressort, la croyance en Dieu, comme beaucoup d’autres croyances, constitue un acte de foi qui a besoin de s’enraciner dans l’expérience personnelle. Dieu est conçu comme la cause ou la source de l’être ; il n’est donc pas simplement un autre être: il n’existe pas de la même manière que toutes choses existent dans le monde. Bien que ce soit la manière traditionnelle d’en parler, il serait donc erroné d’affirmer que « Dieu existe ». Croire en Dieu signifie avoir foi dans la cause suprême de l’être, ou croire à une rationalité suprême et à la justesse de l’ensemble des choses. Fondamentalement, la source de la croyance en Dieu réside dans une expérience religieuse, dans la découverte qu’il existerait un dieu qui agit sur la vie de l’individu ou dans une expérience mystique qui révélerait sa présence. La croyance s’enracine aussi dans des expériences morales où s’éprouve le sentiment d’une profondeur ou d’un absolu qu’on appelle Dieu : relations avec les autres, sentiment du beau, recherche de la vérité, conscience de la finitude ou confrontation à la souffrance et à la mort. Le philosophe contemporain Karl JASPERS (1883-1969) nomme ces expériences des « situations limites. » On peut y éprouver ce que le théologien protestant allemand contemporain Rudolf OTTO (1869-1937), dans une description classique intitulée Mysterium tremendum et fascinans, décrit comme un mystère suscitant à la fois la crainte et la fascination. Pour le croyant, le monde n’est pas que matière. Il est aussi spirituel. Et ce que la raison ne peut saisir n’est pas pour autant inexistant. Mais reconnaître cet être-là et s’attacher à une telle croyance, n’est-ce pas glisser vers l’aliénation?

    II.        LE RAPPORT RELIGION-LIBERTE

    L’influence de la religion sur la liberté du croyant est diversement interprétée par  les philosophes.

A.    L’EXISTENCE DE DIEU COMME SIGNE D’ALIENATION.

1.     La religion, une contrainte

     La religion est un lien établi entre les hommes eux-mêmes, d’une part, et entre les hommes et Dieu, d’autre part. Mais quelle est la nature de ce lien ? Loin d’être d’horizontalité (égalité), c’est un lien de verticalité (supériorité et de domination) car entre les hommes d’une même religion, il y a des maîtres, des dominants (le Pape, le Prêtre, le Pasteur, le Gourou,…) et des dominés (les disciples ou les ouailles.) De même, cette foi se traduit par un hommage  intérieur d’adoration et d’amour, de soumission et d’humilité à l’égard de Dieu ou du divin. Sans doute, son équivalent latin, religio qui signifie soumission, vénération, respect scrupuleux, veut mettre en évidence cette subordination. SPINOZA écrit : «Je dis que cette chose est libre qui existe et agit par la seule nécessité de sa nature et contrainte celle qui est déterminée par une autre à exister et à agir ». Or,  le religieux se soumet à Dieu qui, en retour, détermine son agir. Il découle de là que l’homme ne s’appartient plus. Il est étranger à lui-même. Mieux, il se dépossède de tous ses attributs, de ce qu’il est, pour les confier à Dieu et se soumettre définitivement à lui. Ludwig FEUERBACH (1804-1872) peut donc noter dans l’Essence du christianisme que « l’homme affirme en Dieu ce qu’il nie en lui-même.»

2.     La religion comme moyen d’exploitation

    La société capitaliste est perceptible par sa dichotomie en classe bourgeoise et en classe prolétarienne. Pour endormir les prolétaires, les bourgeois recourent à la religion qui endort la conscience des ouvriers afin de mieux les exploiter. Telle est l’analyse de Karl MARX  (1818-1883) pour qui la religion est « le soupir de la création opprimée.» Elle est donc « l’opium du peuple » (Cf. Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel) C’est dire qu’elle est un instrument d’exploitation et d’oppression. Ce n’est pas le rôle qu’elle a joué dans le cadre de l’esclavage et de la colonisation qui démentira cette réalité. Elle a préparé les peuples et le terrain, ne se gênant pas pour nier, au besoin, l’âme à d’autres êtres humains afin de justifier les crimes les plus odieux. A l’époque coloniale, par exemple, Le missionnaire devait préparer le colonisé à ne pas se révolter contre l’exploitation de ses ressources et surtout à se disposer à haïr les biens matériels.

3.     La religion comme illusion

     Le religieux a tendance à confier son destin à une prétendue providence. Dès lors, pendant que les autres se battent pour venir à bout des problèmes quotidiens, le croyant espère que Dieu viendra résoudre les siens, à sa place. Ainsi, devant tant de misère en Allemagne, NIETZSCHE (1844-1900) dans l’Antéchrist  s’étonne que ses compatriotes, au lieu de travailler, s’en remettent à un être « imaginaire ». Ils sont dans un « monde de pure fiction » qui est «l’expression d’un malaise causé par la réalité. » Ce sont les « vaincus», « les lâches », ceux qui refusent de se prendre en charge. Ils se mentent. Or « le seul qui ait besoin de mentir pour s’évader de la réalité … (est) celui qui en souffre. » (In L’Antéchrist, 1888, §15, trad. Rovini, J.P Puvert, p. 93). L’homme vit ainsi dans l’illusion du bonheur en s’accrochant au bonheur d’un « monde illusoire », celui de la religion notamment. Pour NIETZSCHE, la religion constitue une illusion vitale pour échapper à la conscience de sa propre misère et des dures réalités du monde ici-bas. L’homme produit par le miracle de la religion des « arrière-mondes ». Il trouve dans les fondements de la religion une quiétude spirituelle et la consolation à sa déchéance terrestre : « Le péché contre la terre est le plus terrible péché. Ne plus cacher sa tête dans le sable des choses terrestres, mais la porter fièrement cette tête terrestre qui crée le sens de la terre (…) Mes frères, demeurez fidèles à la terre. » Il faut donc libérer l’homme de lui-même et de Dieu. D’où cette célèbre proclamation, « Dieu est mort ! » que l’on retrouvera aussi bien dans Le gai savoir que dans Ainsi parlait Zarathousthra. C’est maintenant le « crépuscule des idoles. » L’homme, le vrai, « le Surhomme », doit se prendre en charge, briser les valeurs morales, les idoles et s’en remettre à lui-même comme créateur de ses propres valeurs et maître de son propre destin. N’est-ce pas pour cette raison que MARX faisait remarquer que « l’abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l’exigence que formule son bonheur réel » ? La véritable liberté et le bonheur ne seront possibles que dans une société où il n’y aura plus de religion pour mystifier, distraire et soustraire l’homme à ses responsabilités. C’est ce que semble insinuer Eugène LABICHE (1815-1888) : « les chanceux sont ceux qui arrivent à tout et les malchanceux, ceux à qui tout arrive. » En d’autres termes, la chance est du côté de ceux qui « forcent » le destin.

Les corps de plus de 400 membres de la secte de Jim Jones, le "Temple du Peuple", gisent dans un champ, le 21 novembre 1978, après s'être suicidés collectivement dans la propriété de la secte à Georgetown.

4.     La religion, source de division et d’intolérance

     L’histoire est parsemée de violences et de guerres à caractère religieux. Ainsi l’on se demande si la religion n’est pas porteuse de haine et de division contrairement aux valeurs qu’elle brandit. Quand on évoque les guerres de religions qui opposèrent Catholiques et Protestants, Chrétiens et Musulmans, et la Djihad, les Croisés, l’Inquisition…, la religion apparaît comme nocive et destructrice. C’est en tout cas le point de vue du très curieux Curé Jean MESLIER (1664-1729) qui note : « elle est aussi une source funeste de troubles et de divisions éternelles  parmi les hommes. » Il ajoute : « on voit tous les jours qu’ils se persécutent les uns, les autres à feu et à sang pour le maintien de leurs folles et aveugles créances. » (In Œuvres complètes de Jean MESLIER, Ed. Anthropos, 1970, pp. 83.) Ceci traduit bien les risques liés au phénomène religieux. Chaque organisation est fermée sur elle-même ne reconnaissant comme « frères » que les coreligionnaires.  De la sorte, la religion fait naître des schismes et effrite la cohésion sociale.

5.     La religion, une source d’obscurantisme

     Dogmatique par nature, la religion est une source de connaissances qui ne se soucie pas de preuves. Et pourtant, sans convaincre, elle veut vaincre les esprits et les incliner à y accorder crédit. Pour le Curé MESLIER, « cette foi, cette créance aveugle qu’ils posent pour fondement de leur doctrine et de leur morale, est un principe d’erreurs, d’illusions, de mensonges et d’impostures. » (In Œuvres complètes de Jean Meslier, p. 83) Au nom de cette connaissance arbitraire, la religion qui refuse toute critique s’engage au besoin dans la violence pour protéger ses mensonges. C’est pour cela que GALILEO GALILEI dit GALILEE (1564-1642) fut persécuté parce qu’il soutint, comme l’astronome polonais Nicolas COPERNIC (1473-1543), l’héliocentrisme au lieu du géocentrisme enseigné par l’Eglise. Il faut reconnaître qu’en matière de connaissance, la religion produit des croyances (connaissances sans preuve) là où la raison donne le savoir (connaissance rationnelle et prouvée.) De la sorte, la vérité religieuse doit s’incliner devant les lumières de la Raison. C’est en tout cas, la position de SPINOZA : « On estime qu’il est pieux de n’avoir que méfiance à l’égard de la Raison et du jugement propre, impie de n’avoir pas pleine confiance dans ceux qui nous ont transmis les Livres sacrés ; ce n’est point là de la piété, c’est de la démence pure ». (Traité théologico-politique (1670), chap. XV, Garnier, 1965, Trad. C. Appuhn, p. 252)
    Comme on le voit, la croyance et les pratiques religieuses ne manquent pas de critiques. Malgré cela, le sentiment religieux est de plus en plus persistant même en cette période de triomphe de la rationalité ? Qu’est-ce qui justifie encore le recours à la religion?

B.    LA RELIGION COMME FACTEUR DE LIBERATION

1.     La fonction sociale de la religion.

    Pour Auguste COMTE, la religion vient du mot latin religare qui signifie « relier à ». Ceci pour dire qu’elle réunit et rassemble toujours les hommes au nom d’une divinité. Cette idée de rassemblement, de communauté est d’ailleurs suggérée par l’autre étymologie du mot, relegere  qui veut dire rassembler. Non seulement, elle rassemble les hommes mais aussi elle les lie entre eux-mêmes d’une part et avec Dieu d’autre part. Dès lors, la religion est ce lien qui unit les hommes avec Dieu. C’est d’ailleurs la définition qu’en donne le sociologue Emile DURKHEIM (1858-1917) : « une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale appelée Eglise, tous ceux qui y adhèrent ». (Les formes élémentaires de la vie religieuse : le système totémique en Australie, Felix Alcan, 1912, L 1, ch. 1, §§ 2, 3,4). Certes, prisonnier de son espace et de son temps, DURKHEIM vise plutôt la religion chrétienne. Mais cette analyse est valable pour toutes les autres. La religion constitue l’un des moyens les plus sûrs de cohésion sociale. Le fait d’avoir en partage la même religion crée des liens très forts entre peuples, même différents. Dans le Catéchisme positiviste, Auguste COMTE (1798-1857) confirme : « la religion consiste donc à régler chaque nature individuelle et à rallier toutes les individualités. » Par ailleurs, c’est un moyen exceptionnel de consolation et de connaissance. C’est ce que FREUD indique dans L’avenir d’une illusion : « elle les (les hommes) éclaire sur l’origine et la formation de l’univers, leur assure, au milieu des vicissitudes de l’existence, la protection divine et la béatitude finale, enfin elle règle leurs opinions et leurs actes. » Ici, transparaît déjà sa fonction morale.

2.     La fonction morale de la religion

         Les philosophes ont, généralement, cherché à définir la valeur positive ou négative de la conduite humaine en se rapportant à deux principes majeurs : ils ont considéré certains types de conduite comme bons en soi ou bons parce que conformes à une norme morale particulière. L’autorité à laquelle doit obéir la conduite humaine change selon les écoles de pensée : les lois de la nature et les règles de la raison apparaissent tour à tour comme le fondement de la régulation morale. Pour les tenants de la théorie du droit naturel, qui accordent la même autorité à la nature qu’à Dieu, il convient de juger le comportement des individus selon sa conformité à la nature humaine. Le rationalisme, quant à lui, s’en remet aux facultés intellectuelles de l’Homme pour distinguer le Bien du Mal, les choix moraux devant être dictés par la raison humaine. Poussé à l’extrême, on aboutit alors à un relativisme qui tend à tuer « la » morale. Certains principes moraux ne font plus appel à des valeurs fondamentales, car les adeptes du relativisme moral sont convaincus que toute tentative d’établir de telles valeurs est vouée à l’échec. Ce type de doctrine morale, qui érige l’épanouissement naturel de l’Homme en souverain bien, considère la sagesse, le plaisir ou le pouvoir comme la seule source de la satisfaction naturelle de l’Homme. Dans cette optique, il semble même difficile de rechercher le bien. Qu’est-ce qui peut donc pousser l’individu à s’obliger à faire le bien ?
           MONTAIGNE (1533-1592) soutient que les dispositions sociales contenues dans les coutumes nous amènent au respect de valeurs morales.  « La coutume, dit-il, ne doit être suivie que parce qu’elle est coutume. » Ainsi, l’on est poussé naturellement par les coutumes à faire le bien.   L’homme étant naturellement porté vers le mal, toute coutume doit le contraindre à être juste sans contrepartie. « Autant les phénomènes de la nature sont gouvernés par des lois physiques (…) le monde humain aussi est régi par des lois qui s’imposent à notre volonté. » C’est dire que la société est le fondement de l’obligation morale. C’est ce que précise DURKHEIM : « La société nous commande parce qu’elle est extérieure et supérieure à nous ; la distance morale qui est entre elle et nous fait d’elle une autorité devant laquelle notre volonté s’incline. » pour lui, on ne connaît qu’un sujet qui possède une réalité spirituelle plus complexe que l’individu : c’est la société. Ce serait cette transcendance morale de la société, source de toutes nos valeurs, riche de toutes nos traditions qui expliquerait le caractère impératif du devoir. Mais avec Emmanuel KANT (1724-1804), le devoir est un impératif catégorique. C’est un impératif en tant qu’il se présente à la conscience comme un commandement. Il suppose donc une autorité qui est la valeur qui ne peut s’imposer comme une chose. C’est pourquoi l’impératif moral n’est pas une contrainte à laquelle nous serions forcés. C’est une obligation à laquelle nous devons obéir. Cet impératif est dit catégorique dans le sens où ce devoir s’impose sans condition, à l’opposé des impératifs hypothétiques subordonnés à des conditions empiriques.  Pour la pensée religieuse, selon laquelle la volonté divine représente l’autorité suprême, les actions humaines doivent obéir aux commandements consignés dans les textes sacrés. La religion met toujours en relief des valeurs, des devoirs ou obligations auxquels l’individu doit se sacrifier ou se conformer. Pour le croyant, personne d’autre que Dieu n’est mieux placé pour définir le Bien. Chez lui, c’est la crainte du châtiment prévu par Dieu qui peut amener l’individu à se soumettre à l’obligation morale. VOLTAIRE pouvait donc écrire que « la morale vient donc de Dieu comme la lumière. »  (Dictionnaire philosophique, Garnier-Flammarion, Paris, 1964, p.299)
CONCLUSION
     Le devoir ou obligation implique toujours une soumission. Or le devoir est le fondement même de toutes les religions. Ainsi la religion est perçue comme une aliénation en ce sens que l’homme doit toujours se soumettre à son Dieu. Cependant, le phénomène religieux, au delà de son caractère contraignant, répond positivement aux attentes et aux besoins de l’homme, ce qui en garantit la persistance dans un monde où, à côté du triomphe techno-scientifique, la nécessité de repères, notamment moraux, s’impose. « Si Dieu n’existe pas, tout est permis » note Fédor DOSTOIEVSKI (1821-1881), dans Les Frères Karamazov. C’est dire que Dieu et la religion apparaissent, en définitive, comme les garants de la morale.

[1] Descartes fait partie de ceux qui pensent que la conscience est une substance. C’est ce que Husserl conteste par son idée d’intentionnalité.
[2] Bergson distingue la mémoire-habitude de la mémoire-souvenir. Si notre conscience cherche à revoir son passé, il s'agit de mémoire souvenir ; si elle utilise l'expérience passée pour les besoins de l'action, il s'agit de mémoire habitude. La mémoire souvenir est propre à l'homme et suppose de « s'abstraire de l'action présente », « d'attacher du prix à l'inutilité », de vouloir rêver. La mémoire habitude nous pousse, elle, à agir et à vivre. Elle nous aide à tirer des leçons du passé.
[3] La pulsion est un processus dynamique consistant en une poussée qui a sa source dans une excitation corporelle localisée. Elle conduit à un certain type de comportement de façon à décharger la tension. Il y a autant de pulsions sexuelles possibles que de sources somatiques possibles d'excitation. La pulsion est donc une énergie qui doit se manifester même lorsqu'elle est refoulée. Elle a alors deux types de solution :
 - La névrose. Les pulsions apparaissent sous forme de symptômes.
 - La sublimation. Puisqu'il lui est impossible de se réaliser dans un objet interdit par la censure, elle lui substitue un autre objet qui a valeur sociale.
     Sur les différents types de pulsion la théorie psychanalytique a varié tout au long des recherches de Freud et ce point est très controversé. Sans entrer dans les détails, retenons qu'à partir de 1920, Freud distinguera deux types de pulsion :
 - Les pulsions de vie. C'est la libido, encore parfois appelée Eros. Elle correspond à la sexualité au sens très large c'est à dire tout ce qui est lié à l'usage des sens, y compris sous forme esthétique.
 - Les pulsions de mort, qu'oralement Freud nommait parfois Thanatos, qui correspondent à l'agressivité, ici aussi au sens large. La moquerie par exemple en fait partie.

[4] Dans cette condition, le vaincu, devenu esclave, est cloué au travail. Pendant ce temps, le vainqueur, désormais oisif, finit par ne plus rien savoir faire. Finalement, il  dépend de plus en plus de son esclave et finit par devenir l’esclave de son esclave.
[5] L’anarchisme se définit donc ainsi comme mouvement ayant pour objet de garantir la liberté naturelle individuelle et s’opposant par là, à toute forme de domination. L’embryon d’une réflexion de type anarchiste apparaît dès la Révolution française, qui institue un divorce radical entre l’égalité politique affirmée par l’État et le maintien des inégalités sociales et économiques. Certains esprits s’interrogent alors sur cette dérive étatiste qui remet en cause l’idéal de libération de l’individu. Philosophiquement, l’anarchisme puise aux mêmes sources que le marxisme, à savoir l’hégélianisme en tant que lutte de l’Homme contre toute forme d’aliénation (religion, Église, État, etc.). Mais là où le marxisme affirme, à travers le matérialisme historique, un destin collectif de l’Homme à travers la notion de lutte des classes, l’anarchisme proclame la souveraineté du moi « unique », telle qu’elle apparaît dans l’ouvrage de Max STIRNER (1806-1856), L’Unique et sa propriété (1845). C’est pourquoi l’anarchisme s’oppose aux contraintes étatique et religieuse censées régenter l’homme.
[6] Le Français Charles de Secondat, baron de MONTESQUIEU (1689-1755) énonce  la théorie de la séparation des pouvoirs pour éviter qu’un seul individu ne concentre tous les pouvoirs et n’en abuse. Dans son ouvrage De l’esprit des lois (1748), il affirme que « Tout serait perdu si le même homme ou le même corps [...] exerçait ces trois pouvoirs, [...] celui de faire les lois, celui d’exécuter les résolutions publiques et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers » ; cette conception a exercé une influence considérable sur la pensée politique et l’évolution des systèmes constitutionnels.
[7] Théoriquement, l’existence internationale de l’État résulte de l’apparition de ses trois éléments constitutifs : le territoire, la population et le gouvernement souverain. Pour être effective, cette existence doit être reconnue par d’autres États.


26 commentaires:

  1. Vraiment très intéressant et très riche en plus on y trouve des citations qu'on ne voit pas en cours du coup cela nous permet d'élargir nos connaissances . Franchement voilà ça aide surtout en tant qu'élève .

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  2. Je suis très ravi de passer par la

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  3. Très beau cours... Il va vraiment me servir.

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  4. Merci infiniment c le meilleur site

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  5. Merci bien pour tout meilleur site Internet

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  6. Nostalgique ces cours de Tle. Merci a vous

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  7. Très satisfaisante j'ai adoré

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  8. Très impressionnant mais seulement que c'est le copier coller du document SECRET PHILOSOPHE

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  9. Très très bon pour nous les apprenant , merci

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  10. Waouh très explicite et ça aide . Merci pour votre soutien

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